PRODUIRE ET EXPIRER: LA VIE DANS LE PRAXIODRÔME
[laboratoire de création, La Baraque, Montréal, 2009]

Bien que cette fois le praxiodrôme soit relié à un lieu circonscrit, celui-ci n’est nullement essentiel à sa manifestation, qui est mieux définie comme un système de transactions entre artistes. Chacun y produit une œuvre autonome qu’il verra émulée, transformée, commentée par le travail des autres résidants qui, en la prolongeant physiquement, élargiront simultanément sa portée conceptuelle. La notion d’œuvre même est ainsi élargie pour englober à la fois la production de formes et d’objets agissant comme contrepoint à ce qui les précède, mais aussi de plus subtiles interventions et déplacements visant à ajouter à une pièce pour inverser ses principes ou au contraire amplifier ses forces. Ainsi amenés à s’éloigner tantôt des thèmes qui leurs son chers, tantôt de leurs médiums de prédilection, les artistes du praxiodrôme doivent faire preuve d’une prodigieuse souplesse créant des œuvres qui contrastent avec leur pratique habituelle. Or, en s’appropriant de nouvelles idées et matériaux, ils mettent en relief la véritable force, le noyau dur de leur œuvre, c’est à dire ses propriétés transformantes spécifiques. 


Aucune limitation n’a été émise quant à la nature des transactions, de même qu’aucun schéma préétabli ne dicte aux artistes sur quelle pratique il seront appelé à intervenir. Le but n’est pas ici de faire un cadavre exquis en rendant une œuvre méconnaissable au fil d’adjonctions inventives; le praxiodrôme est pourvu d’équipement permettant de documenter chaque geste intégralement afin que la trace du précédent soit toujours présente sous une quelconque forme dans l’espace. Ici le but est de rendre transparent un processus en préservant l’image de ses étapes plutôt que de l’opacifier volontairement en ne montrant qu’un résultat inexpliqué.

Ainsi dans le praxiodrôme, l’artiste doit documenter méticuleusement son travail dans l’idée que celui-ci pourrait être radicalement transformé, voire même neutralisé par une future intervention. Aussi doit il revêtir un état d’esprit particulier : il doit dorénavant vivre en sachant que son œuvre n’est plus une création inaliénable et finale, qu’elle est dorénavant prisonnière d’un continuum dans lequel elle joue successivement le rôle de matériau de base (contexte de création, source d’inspiration), d’objet d’art autonome et finalement de commentaire critique ou de rétrospective. À l’inverse, une lourde responsabilité lui incombe de modifier le travail d’un autre artiste d’une manière à ce point pertinente que la valeur artistique du résultat justifie si l’on veut la «perte» de l’œuvre originale.


Quelques oeuvres:

De l’ajout d’une panthère à une œuvre d’art :

Je ne croyais pas qu’une panthère aurait pu se frayer un chemin dans le praxiodrôme à travers une intervention artistique, sauf peut-être une œuvre de Philippe C. Lefebvre qui s’en serait servi comme l’animal totémique d’un culte inventé. Cependant, le fait que la panthère était sur place lors de l’ouverture de l’atelier en a fait un élément fortuit, plus facile à injecter dans le processus comme témoin, acteur et, une fois reproduite en diverses matières, icône. 

Rôdant d’abord autour du cercle d’aiguilles, que plusieurs ont vu comme un des éléments génésiques du praxiodrôme, probablement à cause de la force de répulsion interne autour de laquelle ces aiguilles semblaient s’organiser, la panthère assiste à la création d’un système duquel elle devient indissociable en tant qu’agent métaphysique. Une fois que la force d’expansion s’est atténuée, les aiguilles ont pu suivre divers courants capillaires pour former des entités plus complexes. Ainsi, la panthère et l’acte de création avec lequel elle faisait corps se sont lentement dissociés.

Lorsqu’elle surplombe une impressionnante pile de papiers marqués d’un sceau institutionnel, la panthère devient provisoirement le symbole de puissance d’une bureaucratie impériale quelconque. Ce monument sera plus tard remis en question lorsqu’il sera utilisé comme contrepoids à l’œuvre de Caroline Cloutier (une grappe de roche assemblées à l’aide de fil de coton). Il s’avère que les deux œuvres, disposées aux extrémités d’un système de pesée rudimentaire, ont le même poids, comme si, même aujourd’hui, il était impossible d’établir une hiérarchie entre les pulsions néolithiques et les forces civilisatrices.






La table haute qu’occupait jadis la panthère est dorénavant comblé par ce qu’on pourrait appelé son fantôme ou encore sa persistance matérielle, une copie en bois de la panthère originale. Cette seconde panthère (plus tard elle sera assimilée à un tigre) comme le chat de Schrödinger se situe au confluent de deux réalités alternatives. C’est à dire que, bien qu’elle possède la mémoire de la panthère originale, elle n’est plus liée à elle dans la destinée. 

Et c’est malheureux, car la panthère de bois se verra bannie dans un coin du praxiodrôme. Bien qu’on aie songé à lui manufacturer un petit environnement de copeau de bois (pour récolter ses rebuts et je présume simuler son habitat montagneux naturel) sa pertinence dans l’espace s’en trouva de plus en plus remis en question. 

Finalement, celle-ci sera envoyée (postée) dans un refuge pour fauves abandonnés au texas.

 
Pheromone40.html

OEUVRES      ^   SCULPTURALES

CV.pdf


alexandre_payer@hotmail.fr

^

ART D’IMPRESSION [2D]

ATELIERS OUVERTS             ^

+ LABORATOIRES DE CRÉATION

^

COMMISSARIATS / MÉDIATION